C’était la priorité du quinquennat. Mais elle a du plomb dans l’aile. La promesse réitérée en février dernier par Emmanuel Macron « qu’aucune (situation d’)enfant sans solution de scolarisation ne puisse encore exister au mois de septembre prochain » ne sera pas tenue. Cette année encore, des élèves porteurs de handicap resteront aux portes de l’école. Faute de chiffrage, l’ampleur du phénomène est inconnue, mais les premiers retours de terrain sont sans appel.
« Ce qu’on observe, c’est la même galère que l’année dernière, avec un manque d’AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) et un manque de places dans les classes Ulis (unités localisées pour l’inclusion scolaire, ces classes spécialisées installées au sein des écoles ordinaires – NDLR) », résume Bénédicte Kail, conseillère éducation familles à l’APF France handicap. Sur son site, l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), a déjà collecté plus de 500 témoignages de parents en détresse et en colère. « Notre fils, atteint d’une ostéogenèse imparfaite (la maladie des os de verre) et de troubles du spectre autistique, n’aura pas école pour la troisième année de suite. Il restera à la maison… sans vie sociale et sans interaction », écrivent ainsi les parents de Giuseppe qui habitent à Paris.
Des progrès ont néanmoins été réalisés. Le ministère décompte pour cette rentrée 385 000 élèves en situation de handicap, dont 104 500 élèves en Ulis, soit plus de 84 000 élèves supplémentaires depuis 2017. Mais, ces chiffres cachent des situations très diverses, dont beaucoup de scolarisations partielles. À l’instar du cas de Lohan, lycéen de15 ans, qui « n’a eu droit à aucune heure pour l’instant. Autiste et dysgraphique, il n’aura son prêt d’ordinateur qu’en octobre. Sans écrire, sans aide, sans guide, que cherche l’éducation nationale ? À le pousser vers la sortie ? C’est un élève brillant et gentil, il pourrait réussir si ses droits étaient respectés », alertent ses parents sur marentrée.org.
Principal problème : le manque d’AESH. « Comme il y a peu de personnels dans les établissements pour accompagner les élèves, on fait des choix et on met en compétition ceux qui sont jugés prioritaires et les autres », observe Virginie Cassand, AESH à Paris et syndiquée au Snes-FSU. Le secrétariat d’État au Handicap a pourtant promis, pour cette rentrée, 4 000 nouvelles embauches, soit l’équivalent de 8 000 équivalents temps plein. Mais, sur le terrain, on ne les voit pas arriver, par manque d’anticipation et de candidats. « Il y a parfois le budget, mais pas le personnel », note Bénédicte Kail. Faute d’un statut et d’une rémunération suffisante pour un métier difficile et à responsabilité, les volontaires manquent à l’appel. Les AESH occupent généralement un temps partiel (équivalent à 62 % d’un temps plein), pour un salaire avoisinant les 750 euros par mois. Un personnel précaire, qui peut enchaîner les CDD pendant six ans, avant de pouvoir espérer un CDI.
Et avec les craintes sanitaires liées au Covid, les démissions se sont multipliées cette année. « Les AESH en ont ras le bol d’être sous-payés et maltraités », résume Hélène Elouard, du collectif national AESH CGT. La discussion sur la revalorisation de la grille indiciaire est à l’arrêt. Même le passage au point supérieur, recommandé par une circulaire de 2019, n’est pas toujours effectif. « Il faudrait vraiment s’atteler à l’attractivité du métier, sinon, il y aura les mêmes problèmes tous les ans », prévient Bénédicte Kail.
La réorganisation récente de la gestion des AESH en pôles inclusifs d’accompagnement localisés au plus près du terrain a mis encore plus de « bazar », souligne Vincent Ollinger, professeur dans une classe Ulis en Meurthe-et-Moselle et en charge des précaires pour la FSU. Personne ne sait vraiment comment ces groupes sont organisés et selon quelle logique. « Les pouvoirs publics sont incapables de dire combien il y en a et s’ils fonctionnent », déplore Emmanuel Séchet, en charge des métiers de support au Snes. Sur le terrain, cela a conduit à une désorganisation complète, qui retarde encore l’arrivée des AESH auprès des enfants. « Bon nombre d’entre nous avons attendu tout l’été des affectations qui ne sont pas venues. Je reçois encore tous les jours des messages de personnes qui ne savent pas dans quelle école et avec quel enfant elles doivent travailler », raconte Virginie Cassand.
Sur le terrain, cela s’apparente davantage à un outil de gestion de la pénurie. De plus en plus, l’éducation nationale a recours à des accompagnements mutualisés, c’est-à-dire qu’un seul AESH doit aider plusieurs élèves. Ce qui met certains enfants dans l’incapacité de suivre une scolarité normale. Qui plus est, cela complique la tâche des AESH, qui sont déplacés comme des pions. « Suivre plusieurs enfants en même temps, avec des pathologies différentes, c’est très lourd. C’est aussi plus difficile de faire le travail correctement », explique Hélène Elouard. Dans sa classe Ulis spécialisée dans le trouble du langage, Vincent Ollinger est seul avec une AESH. Lorsque la moitié de la classe part en classe ordinaire, il se retrouve seul avec six élèves. Et l’AESH ne peut en accompagner qu’un. « Même si on essaye de rendre le système un peu moins maltraitant, on sait qu’on n’offre pas ce qu’il faut aux enfants », déplore l’enseignant.
En principe, les besoins de chaque élève sont précisés en détail par les maisons départementales des personnes handicapées. « Mais, dans les faits, beaucoup de familles n’ont aucun élément pour faire un recours et se retourner si l’accompagnement que propose l’éducation nationale n’est pas suffisant », regrette Bénédicte Kail pour qui « le système, dévoyé, n’est plus basé sur les besoins de l’enfant ». Une façon aussi, pour l’administration, de se prémunir contre les recours en justice de la part de parents mécontents.
Mais, l’accompagnement n’est pas tout. L’inflation du nombre d’AESH répond aussi à l’incapacité de l’école à être réellement inclusive. En cause, la dégradation des conditions d’enseignement pour tous les enfants. Dans l’école où travaille Vincent Ollinger, il y avait, jusqu’à cette année, 30 enfants par classe, dont beaucoup issus de milieux défavorisés. Pas étonnant que, dans ces conditions, les professeurs soient peu enthousiastes à l’idée d’accueillir, en plus, des élèves en situation de handicap. Au collège, où les effectifs sont pléthoriques, le problème est encore plus aigu. « Dans nos classes, nous dépassons le seuil du nombre d’élèves. C’est tout bête, mais ça veut dire qu’il n’y a que 24 chaises. Quand un élève d’Ulis vient, je suis obligée de donner ma chaise à l’AESH pour qu’elle puisse s’asseoir », illustre Maud Valegeas, professeure dans un collège à Saint-Denis et membre de SUD éducation.
Au-delà des moyens, un changement de mentalité et de pédagogie s’avère nécessaire. « Ce que nous souhaitons, c’est une scolarisation de qualité, continue et adaptée aux besoins de chaque élève. C’est une révolution culturelle pour l’institution », admet Luc Château, président de l’Unapei. Jusque-là, les enseignants ne recevaient aucune formation spécifique pour accueillir ces élèves. Ça devrait être le cas prochainement. Mais l’accueil de ces élèves porteurs de handicap nécessite surtout la mise en place d’une pédagogie adaptée et différenciée. Un impératif en contradiction avec la mise en place d’une école de plus en plus axée sur l’évaluation des connaissances acquises. « On multiplie les évaluations, mais qu’est-ce qu’on évalue ? Un rapport à une norme ou la capacité d’évolution des élèves ? interroge Bénédicte Kail. On dit que l’école doit être inclusive, mais elle ne l’est pas. En France, nous sommes toujours sur une école élitiste. »
September 09, 2020 at 01:00AM
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Éducation. Les élèves handicapés, une priorité à la traîne - L'Humanité
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